La cellule de conservation a accueilli jeudi cinq bisons d’Europe venus de Pologne, 13 ans après le lancement du projet.
«On y est enfin.» Jeudi, alors que les cinq bisons d’Europe, venus tout droit de Pologne, pointent enfin le bout de leur museau hors de leur caisse de transport à l’orée de la forêt de Suchy, le biologiste Alain Maibach ne cache pas son émotion. Depuis 13 ans, il lutte avec un petit groupe de passionnés pour qu’une partie des bois situés sur le territoire de la commune se transforme en une cellule de conservation génétique de ces ruminants, dont seuls 6000 individus vivent aujourd’hui. Après de multiples combats administratifs en tout genre et des heures de tractations avec les chasseurs et les champignonneurs de la région, notamment, les bêtes – quatre femelles et un mâle – ont finalement pu se faufiler entre les arbres de leur nouveau parc, en plein cœur du Nord vaudois. Non sans quelques surprises.
Rendez-vous était pris à 13h30 avec l’Association Bisons d’Europe de la forêt de Suchy, sur le parking de l’Auberge Communale. Un camion transportant les cinq bisons d’Europe, parti la veille de Pologne, à 2000 kilomètres de là, devait arriver trente minutes plus tard. Alors que la bonne vingtaine de personnes présentes sur place se prépare à se rendre aux abords de l’enclos de deux hectares, où les bêtes devaient être placées en quarantaine durant 21 jours, Heidi Binggeli, la secrétaire de l’association, reçoit une mauvaise nouvelle par téléphone: le véhicule tant attendu, qui devait franchir la douane à Bâle à 11h, est toujours à l’arrêt du côté allemand de la frontière.
L’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires tarderait à donner son feu vert. «Ce projet est unique en Suisse, tempère Alain Maibach. Cela doit être une tracasserie monstre pour vérifier et trouver les bons documents.» Non loin de lui, le syndic Didier Collet plaisante: «Ça fait déjà 13 ans qu’on attend. On peut encore patienter deux heures.» Soit. Sur un ton plutôt léger, les bénévoles se passent le mot. Mais certains peinent à masquer leur inquiétude: «Ils vont finir par arriver ces bisons, ou bien?» peste un jeune retraité, dans son coin.
Pour patienter et se réchauffer, plusieurs groupes se dirigent dans le restaurant adjacent pour boire un café. Didier Collet, qui a repris le dossier des mains de son prédécesseur en 2017, profite de l’occasion pour refaire le point. «Ce programme dépasse les frontières communales, celles du canton et même celles du pays, se réjouit-il. D’une certaine manière, il place le village de Suchy sur la carte de notre continent.» Car si des bisons d’Europe se baladent déjà en Roumanie ou en Biélorussie, il n’y a plus de forêts suffisamment vastes et bien préservées en Europe de l’Ouest pour permettre à de nouvelles populations de vivre en liberté. «On parle beaucoup d’écologie et de biodiversité et nous sommes fiers de pouvoir faire notre part, même si nos moyens sont limités», reprend le syndic.
«Attention, nous n’allons pas réintroduire cette espèce en Suisse, insiste Alain Maibach. Le fait d’amener des bisons dans la forêt de Suchy est une délocalisation. Nous voulons leur offrir les conditions idéales pour prospérer et, via leurs petits, assurer le brassage génétique de cet animal plus trapu que son cousin d’Amérique.» Ainsi, la harde vaudoise paîtra en alternance dans trois parcs afin de préserver les sols, sur une surface totale de 50 hectares.
Sans un bruit dans la forêt
Soudain, le portable de Heidi Binggeli sonne de nouveau. Un des chauffeurs polonais annonce la nouvelle que tout le monde espérait: les bêtes seront là vers 16h. Chacun embarque précipitamment ses affaires et part en direction de leur futur habitat. «Tant qu’ils n’ont pas posé leurs quatre pattes au sol, rien ne sera fait», dit en souriant le garde forestier Michel Mercier, qui avait eu l’idée en 2006 d’accueillir ces bisons à Suchy. «Quand tout sera bon, ce n’est pas exclu que je verse une larme», confie-t-il encore. Au moment de sortir de leur caisse, les animaux s’arrêtent un moment et contemplent la foule qui les observe. Puis, sans un bruit, ils s’enfoncent dans les bois, se fondant rapidement dans l’obscurité.
Cette fois, c’est fait.
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