Arrivés fin 2019, les cinq bovidés polonais de la première cellule de conservation de Suisse se sont bien acclimatés à la forêt vaudoise. Une naissance a déjà eu lieu, une deuxième pourrait suivre ce printemps.

On le voit de loin, sa massive silhouette découpant l’horizon. L’animal a beau être sauvage, il ne fuit pas lorsqu’on l’approche, préférant mâchouiller tranquillement du foin. Posel, solide bison d’Europe âgé de 7 ans et pesant 800 kilos, a revêtu son pelage d’hiver. Il se laisse admirer, ne quittant toutefois pas des yeux ses visiteurs. Qu’il semble loin le soir où, après avoir parcouru 2000 kilomètres en camion, il sortait en furie de sa cage de transport pour découvrir son nouvel habitat, loin de sa Pologne natale!

C’était il y a un peu plus d’un an, en novembre 2019. Ce fier mâle rejoignait alors la première cellule de conservation des bisons d’Europe créée en Suisse, avec quatre bisonnes polonaises qu’il avait pour mission de séduire, afin de redonner vie à cette espèce indigène ayant disparu du pays il y a des siècles.

Première naissance
«Posel a l’air calme, mais il faut quand même s’en méfier, explique Kevin Mercier, gardien du troupeau. C’est une façade et il peut courir jusqu’à 60 [Espace insécable] km/h!» Il en sait quelque chose. Kevin Mercier, qui a l’habitude de ces animaux pour avoir travaillé en leur compagnie pendant cinq ans au Zoo de Servion (VD) s’est fait charger déjà deux fois par le mâle avec lequel il est pourtant en confiance. Heureusement, il a pu échapper à ses cornes en se faufilant sous la clôture à temps. «Il m’a foncé dessus quand Pola était portante, se souvient le gardien, fils de Michel Mercier, l’un des initiateurs de ce projet. Il était alors plus protecteur que d’ordinaire.»

Malgré ces aléas, les premiers mois de ce projet, qui a mis douze ans avant de se concrétiser, ont été couronnés de succès: en juin, une petite bisonne, Sultane, a vu le jour. Les promeneurs, qui sont nombreux à rendre visite aux bisons chaque semaine, ont alors redoublé d’efforts pour tenter d’apercevoir la petite boule de poils, qui pèse aujourd’hui plus de 120 kilos. Les observer n’est toutefois pas aisé, d’autant que ces bêtes au gabarit impressionnant savent se déplacer sans bruit dans leur parc de 48 hectares, où ils vivent en semi-liberté. Seul leur gardien, qui les côtoie quotidiennement et a appris à connaître leur caractère, peut s’en approcher et même parfois leur effleurer le museau. «Je me méfie néanmoins de Polama. Âgée de 3 ans, elle était la plus jeune avant l’arrivée de Sultane, explique-t-il. Elle est lunatique; il ne faut pas lui tourner le dos.»

Chaque jour, Kevin Mercier veille sur eux, il en profite aussi pour ausculter la clôture – électrifiée à 10 [Espace insécable] 000 volts, presque le double d’un parc pour vaches – pour éviter que les bisons ne prennent la poudre d’escampette. «Un jour, j’ai commencé à les chercher à 7 heures du matin et je ne les ai aperçus qu’aux alentours de 10 heures. Ils savent extrêmement bien se cacher dans le paysage!» Le gardien est particulièrement vigilant lorsqu’il y a du vent, n’hésitant pas à demander à ce que des arbres soient coupés avant qu’ils n’endommagent le grillage électrifié. «Ces bisons ne nous appartiennent pas, rappelle le biologiste Alain Maibach, porteur du projet. On est responsables de ces animaux qui nous ont été confiés par l’Union internationale de la conservation de la nature.»

Nouvelle naissance espérée
Les douze premiers mois dans leur enclos montrent que le lieu a été bien choisi, les bisons ayant notamment pu profiter de se rouler dans l’argile cet été, pour parer aux attaques des insectes. Ils apprécient particulièrement l’écorce des saules, des tilleuls et des ormes (voir l’encadré ci-contre). Ils se sont aujourd’hui habitués au survol de la forêt par des hélicoptères et au passage des cavaliers. Ils se sentent tellement bien que la famille pourrait s’agrandir au printemps. «On pense qu’une seconde femelle est portante, se réjouit Morgane Rey, vétérinaire chargée du troupeau. On ne pouvait rêver mieux.» En un an, elle est rarement intervenue pour traiter ses protégés, se contentant de leur administrer un vermifuge et de leur faire une prise de sang, qui a été compliquée à réaliser sur ces animaux sauvages. «Sultane a boité à deux reprises, mais rien de grave, explique-t-elle. Ce sont des animaux sauvages, on ne peut pas trop intervenir, nous devons toujours calculer le bénéfice-risque de nos actions.»

Chacun de son côté
Depuis quelques mois, les bisons, qui sont véritablement retournés à l’état sauvage, vivent quelque peu séparés. Si Posel ne s’éloigne jamais loin de la botte de foin qui lui est proposée pour combler le manque de végétation à cette saison de l’année, les femelles préfèrent passer la journée à l’abri des regards dans les fourrés, ensemble. La hiérarchie est bien définie et respectée.

Le biologiste Alain Maibach a aujourd’hui un seul regret: ne pas pouvoir venir les visiter régulièrement. Son combat pour la préservation de l’espèce continue, notamment par la recherche constante de nouveaux sponsors et de dons en faveur de l’Association bison d’Europe de Suchy. «Nous avons reçu le soutien de la Loterie Romande pour financer la création du second enclos cette année, annonce-t-il. Nous saurons aussi dans quelques mois si notre autorisation de détention est renouvelée.» Cette décision scellera pour de bon le destin des bisons de Suchy.

+ d’infos www.bisons-suchy.ch.
Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): Guillaume Perret/Lundi 13

https://www.terrenature.ch/les-bisons-europeens-ont-pris-gout-a-la-vie-dans-les-bois-de-suchy/